Ce jeudi, la ville de Bukavu a présenté un visage inhabituel. Les rues, habituellement marquées par la poussière et les déchets, ont été impeccablement balayées, torchonnées, et nettoyées dans une atmosphère de discipline remarquable. À l’origine de cette mobilisation exemplaire, le système SALONGO, imposé par la coalition AFC/M23 après sa prise de contrôle de la ville. Mais ce zèle soudain des habitants, qui contraste avec le passé, soulève des questions cruciales : obéissance par crainte ou véritable réveil citoyen ?
Un engouement inédit pour le Salongo
Traditionnellement, le Salongo — une journée de travaux communautaires consistant à nettoyer les rues et espaces publics — était organisé chaque samedi de 8h à 10h sous la supervision de la mairie et du gouvernement provincial. Pourtant, malgré les multiples sensibilisations et appels à la participation, l’engagement des Bukaviens était jusqu’ici mitigé, souvent marqué par de la négligence ou un simple manque d’intérêt.
Ce jeudi, cependant, le décor a radicalement changé. Tous les quartiers ont vibré au rythme du Salongo : jeunes, femmes, enfants et même les personnes âgées se sont activés avec une énergie presque contagieuse. « C’est comme si la ville s’était réveillée d’un long sommeil », commente un habitant du quartier Ndendere, visiblement impressionné par l’élan collectif.
Crainte des représailles ou prise de conscience collective ?
Cette mobilisation massive soulève une question essentielle : pourquoi une telle ferveur maintenant ? Plusieurs rumeurs avaient circulé les jours précédents, affirmant que quiconque ne participerait pas aux travaux communautaires risquait d’être fouetté par les nouvelles autorités. La peur des sanctions aurait-elle alors servi de moteur à cette participation exemplaire ?
« On a entendu dire que ceux qui refuseraient de balayer seraient punis sévèrement. Même si nous ne savons pas si c’est vrai, personne ne veut prendre de risques », confie une jeune mère de Kadutu, balai à la main.
Mais au-delà de la crainte, certains estiment que le phénomène traduit un réveil des consciences. « Peut-être que ces nouvelles autorités ont réussi là où nos anciens dirigeants ont échoué : faire comprendre que la propreté de la ville est notre responsabilité à tous », argumente un étudiant de l’Université Officielle de Bukavu, soulignant que le sentiment d’ordre imposé par le M23 pourrait paradoxalement avoir réveillé le sens civique des habitants.
Le poids de l’autorité dans le changement social
L’efficacité du Salongo sous le régime de l’AFC/M23 interroge sur le rôle de l’autorité dans le changement des comportements sociaux. Faut-il craindre pour obéir ? Ou les citoyens ont-ils simplement besoin d’un leadership fort et visible pour s’impliquer activement dans le développement de leur communauté ?
Selon des observateurs locaux, cette situation reflète un dilemme classique des sociétés post-conflit : la frontière floue entre la discipline imposée par la force et le véritable engagement citoyen. « La peur peut inciter à l’action, mais seule la prise de conscience garantit que cette action devienne une habitude », explique un sociologue de Bukavu.
Vers un avenir incertain
Reste à savoir si cet engouement pour le Salongo survivra aux conditions actuelles. Si la peur des représailles s’avère être le véritable moteur de cette mobilisation, il est à craindre que l’engagement citoyen retombe dès que la pression s’allégera. Mais si c’est bien une prise de conscience collective qui émerge, Bukavu pourrait bien être à l’aube d’un changement durable dans la gestion de son environnement urbain.
Pour l’heure, le spectacle d’une ville unie dans un même effort de propreté témoigne d’une vérité simple mais puissante : qu’il soit motivé par la peur ou le devoir, le sens du collectif demeure une force capable de transformer la société.
EL Parias Pat Mulemaza
