Depuis le 6 février 2025, un vent de panique souffle sur la ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, alors que l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est en proie à une escalade inquiétante de l’insécurité. La progression des rebelles du M23 et de leurs alliés de l’Alliance des Forces Congolaises (AFC), qui ont déjà pris le contrôle d’une grande partie du Nord-Kivu, y compris la ville stratégique de Goma et une portion du territoire de Kalehe dans le Sud-Kivu, suscite une vive inquiétude parmi la population.
La peur et l’exode : Bukavu sous pression
À Bukavu, l’impact de cette crise se fait ressentir de manière tangible. Si la journée du samedi 8 février a été marquée par une relative reprise des activités habituelles, signe que certains habitants tentent de s’adapter à la situation, la peur demeure omniprésente. Le climat anxiogène se manifeste par un mouvement migratoire important. Plusieurs habitants de Bukavu, mais aussi des réfugiés ayant fui Goma, cherchent à quitter la ville par crainte d’une éventuelle extension du conflit.
La principale destination de ces déplacés semble être Bujumbura, la capitale burundaise, où un afflux massif de Congolais a été constaté ces derniers jours. Cette migration témoigne d’un manque de confiance dans la capacité des autorités congolaises à assurer la sécurité des civils. Face à l’incertitude, beaucoup préfèrent quitter le pays plutôt que de risquer de revivre les horreurs des précédents conflits qui ont ravagé l’Est de la RDC.
Réactions politiques : entre appel au calme et exigence d’une riposte ferme
Face à cette crise, les réactions des personnalités politiques congolaises sont partagées. D’un côté, certains leaders appellent les habitants de Bukavu et du Sud-Kivu à ne pas céder à la panique. Ils exhortent la population à faire confiance aux efforts du gouvernement congolais, qui affirme travailler sur des solutions pour rétablir la sécurité dans la région. Ces voix mettent en avant les initiatives diplomatiques en cours et les discussions stratégiques visant à contenir l’avancée des groupes armés.
D’un autre côté, des figures politiques et activistes dénoncent ce qu’ils considèrent comme une inaction coupable du gouvernement. Pour eux, la situation nécessite une réponse militaire immédiate et musclée. Certains réclament une déclaration de guerre non seulement contre les rebelles du M23, mais aussi contre le Rwanda, accusé de soutenir activement ces groupes armés. Cette posture radicale reflète une frustration croissante face à l’impuissance de l’État congolais à protéger ses citoyens et à défendre son territoire.
Les enjeux sécuritaires et stratégiques
La prise de Goma par le M23/AFC constitue un tournant majeur dans la crise sécuritaire de l’Est de la RDC. La ville représente un nœud économique et logistique essentiel, et son occupation renforce considérablement la position des rebelles. L’avancée du M23 vers le Sud-Kivu, notamment vers Kalehe, marque une menace directe pour Bukavu.
La proximité géographique entre Goma et Bukavu soulève des inquiétudes stratégiques majeures. Si les rebelles poursuivent leur progression, Bukavu pourrait se retrouver isolée, avec un risque accru de siège ou d’infiltration par des éléments hostiles. Cette situation met également en lumière la fragilité du dispositif militaire congolais, dont l’efficacité est remise en question face à des groupes armés mieux organisés et bénéficiant d’un soutien extérieur présumé.
Quelle issue pour Bukavu et l’Est de la RDC ?
La situation actuelle pose un dilemme complexe. Si le gouvernement congolais tarde à agir de manière décisive, la panique et l’exode risquent de s’intensifier, affaiblissant encore davantage la position de l’État dans cette région clé. À l’inverse, une escalade militaire mal préparée pourrait aggraver la crise humanitaire et renforcer les tensions régionales, notamment avec le Rwanda.
Dans ce contexte, plusieurs observateurs estiment qu’une solution durable ne pourra être trouvée sans une approche combinant pression diplomatique, renforcement militaire et mobilisation internationale. Une implication accrue des partenaires régionaux et internationaux pourrait être nécessaire pour éviter une détérioration irréversible de la situation.
En attendant, les habitants de Bukavu vivent dans l’incertitude. Entre résignation et espoir, ils oscillent entre la volonté de continuer leur quotidien malgré la peur et l’urgence de chercher refuge ailleurs. La ville, jadis perçue comme un sanctuaire relatif face aux violences du Nord-Kivu, semble aujourd’hui rattrapée par la réalité d’un conflit qui ne cesse de s’étendre.
L’avenir de Bukavu dépendra largement des choix qui seront faits dans les jours et semaines à venir, tant par les autorités congolaises que par la communauté internationale. Mais une chose est sûre : la population, elle, attend des actions concrètes et immédiates pour garantir sa sécurité et préserver ce qui reste de stabilité dans une région en perpétuelle tourmente.
Patrick Mulemaza